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« L’Amour ouf » : le fantôme d’un amour perdu

L’AVIS DU « MONDE » – À VOIR
Acteur, Gilles Lellouche incarne un pudique à carapace, un tendre à carrure de solide, une force tranquille. Il a conquis la notoriété en gaillard égaré dans Les Petits Mouchoirs (2010) de Guillaume Canet, en père d’accueil affectueux dans Pupille (2018) de Jeanne Herry, en flic empathique dans BAC nord (2020) de Cédric Jimenez. Sa présence tend un reflet à nos bons côtés et nos grandes gueules, garante de la modestie qui sait parfois nous traverser.
Son deuxième long-métrage en tant que réalisateur, Le Grand Bain (2018), a révélé une part plus sophistiquée de son identité. Cette comédie populaire – une bande de quinquas déprimés quittant leur routine pour s’entraîner à la natation synchronisée dans une piscine municipale – se distinguait par un sens du cadre, chic et graphique, des espaces lunaires et mélancoliques et un burlesque de situation.
Cinq ans après ce savoureux cocktail névrotico-joyeux, L’Amour ouf fait figure de mastodonte. Inspirée du roman de l’Irlandais Neville Thompson (Jackie loves Johnser OK ? Poolbeg, 1997) et murie depuis dix-sept ans par son réalisateur, cette fresque de presque trois heures autour du grand amour (et toutes les autres formes d’amour possible, filial, amical, conjugal, etc.) est une grosse machine qui fait tapis. Construit en diptyque sur deux décennies, le film entend plonger ses protagonistes et, par ricochet, les spectateurs dans une expérience psychophysiologique complète, en déclenchant chez eux toutes les émotions connues depuis que le psychologue Paul Ekman, le spécialiste du sujet, s’est penché sur la question. Numéros dansés des musicals, ombres portées du film noir, jours pluvieux d’une chronique sociale, baisers des comédies sentimentales, échappées belles des teen-movie à l’appui. Sur ce, Gilles Lellouche fait vœu d’ubiquité, en adoptant un maximum de points de vue possibles, comme cette scène dans laquelle la caméra voit simultanément de part et d’autre d’une porte.
Malgré l’impression d’assister à un banc de test qui aurait pour objectif de comparer pratiques et performances formelles, il est difficile de ne pas fondre devant cette profusion sensible qui semble émaner d’une masculinité à l’ancienne, bagarreuse et désordonnée, en cours de déconstruction. A cela s’ajoutent des trouvailles bien senties, comme ce chewing-gum mâchouillé par l’être aimé, qui bat comme un petit cœur, sur le mur d’une chambre d’adolescente.
Quelques mots sur l’intrigue. Les années 1980, un paysage de briques, dans le nord de la France. Jackie (Mallory Wanecque), pantalon écossais et mocassins cirés, et Clotaire (Malik Frikah), cuir et flingue, se rencontrent à la sortie d’un bus scolaire. Elle étudie, il traîne. Tombent amoureux. Mais le garçon est pris dans une vie qui tourne mal. Leur histoire est celle d’un amour impossible, comme l’avait si bien résumé François Truffaut avec cette épitaphe « ni avec toi ni sans toi », dans La Femme d’à côté (1981).
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